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Développement durable et management : donner réalité aux principes de l’écologie humaine





Ils ont mûrement peaufiné leur projet et ont finalement lancé leurs entreprises, sur des créneaux nouvellement apparus ou revisités au regard des contraintes économiques. Impossible évidemment d’envisager un mode d’organisation général et un fonctionnement au quotidien calqué sur le passé. Pour ces nouveaux chefs d’entreprise, une certaine forme de gouvernance managériale est condamnée. Vive l’éco-management, l’éco-gouvernance, fondée sur quelques principes simples et, pour tout dire, sur une certaine vision du monde économique et social.



Développement durable et management : donner réalité aux principes de l’écologie humaine

Des convictions forgées dans la réalité de l’entreprise

« Le moteur d’une entreprise ne peut pas être le seul profit », remarque d’une formule lapidaire, Jean-Michel Germa, fondateur de la Compagnie du Vent qui eut l’intuition précoce dans les années quatre-vingt de la viabilité de l’énergie éolienne. Personnalité affable, volontiers pédagogue, et au parcours teinté d’opiniâtreté en faveur d’une intime conviction écologique, ce docteur en physique s’est lancé dans le monde l’entreprise par « nécessité » il y a près de trente ans : « En tant que physicien, j’ai toujours eu l’ambition d’apporter une contribution technologique utile et capable d’améliorer la vie des hommes. »
 
Fasciné par « le véritable fourmillement d’idées nouvelles qui explorait les façons alternatives de produire de l’énergie », Jean-Michel Germa, à l’époque, se rallie aux sciences dures par conviction : « Une dizaine d’années seulement avant le lancement de La Compagnie du Vent en 1989, l’écologie n’avait aucune visibilité et le grand public ne la connaissait pas, explique-t-il. Quelques scientifiques précurseurs, tels que René Dumont, s’efforçaient, depuis le milieu des années 1970, d’informer les gens et de partager avec eux leur découverte. » A Jean-Michel Germa, alors, de la traduire en réalité industrielle. « J’avais l’appétit de développer quelque chose de nouveau, et j’avais le sentiment de n’avoir pas grand-chose à perdre, confesse-t-il. Cet état d’esprit m’a valu quelques réussites : j’ai réalisé la première éolienne française, le premier parc éolien du territoire, le premier parc éolien du continent africain, etc. » Avec le recul et l’expérience, il reste fidèle à ses convictions initiales et ne manque jamais de citer ces mots empruntés à Alexandre Dumas: « l’argent est un bon valet, mais un mauvais maître ».
 
Des propos que ne sauraient désavouer Frédéric Geolier qui a reçu, il y a quelques mois, le prix de l’entrepreneur social et solidaire. Fondateur de « 1001 repas », une société de restauration collective (55 000 repas-jour servis en 2012), le quadragénaire qui a placé un grand portrait de Sœur Emmanuelle dans son bureau expliquait, dans les colonnes de « Acteurs de l’Economie » : « lorsque l’on crée une entreprise et que l’on a le sens du bien commun, on le fait aussi pour l’autre (…) Je veux créer assez de richesses pour permettre à mes salariés d’être plus riches ! » Alors, l’amour, la bienveillance, la force de l’engagement seraient-ils en passe de devenir l’alpha et l’oméga de la réussite économique ? Ne serait-ce pas une vision idyllique et simpliste des contraintes entrepreneuriales, dans un monde-village où la concurrence est chaque jour plus âpre et où le libéralisme se confond parfois pour certains avec le « tout est permis » ? Ou n’est-ce pas une vision cynique, artificiellement construite pour rendre les entreprises compatibles avec le politiquement correct ? C’est au contraire obéir à un principe de réalité, observent ces entrepreneurs d’un nouveau style. « Quand les temps sont difficiles, ce sont les équipes les plus solides qui font face », assène Frédéric Coirier, héritier des Cheminées Poujoulat qui a repris les rênes de l’entreprise familiale en 2006 et se décrit comme « viscéralement entrepreneur ».
 
Derrière ces mots qu’on pourrait targuer de naïveté dans le monde économique, se dessine en réalité une notion, celle du management social et environnemental qui fait d’ailleurs l’objet de formations universitaires particulières au travers de masters dédiés.
 

De bonnes idées, de bonnes pratiques

Initiés empiriquement, l’éco-gouvernance et son corollaire, l’éco-management, sont désormais des concepts clairement définis. Pour preuve, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, un groupe de travail présidé par Nicole Notat, ex-syndicaliste devenue présidente de l’agence de notation Vigeo, a été entièrement consacré à ce thème, mettant en place un véritable vade-mecum pour construire cette « démocratie écologique » au sein des entreprises. Dans leur rapport conclusif, rendu public en septembre 2007, les membres du « groupe Nota » proposent plusieurs dizaines de mesures simples à mettre en place : construction d’une comptabilité sociale et environnementale, développement d’indicateurs au regard des enjeux par filière et types d’entreprises, introduction des valeurs écologiques dans les missions des Comité d’entreprises et des CHSCT, systématisation de la RSE (responsabilité sociale des entreprises)… Bref, une batterie de mesures simples, à coûts raisonnables qui permettent d’installe de bonnes pratiques au quotidien et de distiller la vertu écologique dans les sociétés. 
 
Des propositions reprises pour la plupart et affinées en mai 2013, par les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE), présidé par Jean-Paul Delevoye, dans un avis intitulé « gouvernance et performance d’entreprise ». Porté par Amélie Rafaël, membre du CESE mais surtout dirigeante de Paris-Anticorps, cet avis veut tout simplement « changer la vision de l’entreprise dans la société » et propose une nouvelle définition de la performance économique basée sur « la capacité à satisfaire les intérêts de toutes les parties prenantes en interne, motivée pour participer à un projet entrepreneurial sur la durée… » Illustration de ces grands principes multi-formes : Jean-Michel Germa se bat pour faire entendre la voix des actionnaires minoritaires au sein des conseils d’administration, tandis que Florence Poivey organise avec des salariés volontaires un voyage humanitaire au Sénégal ou que Frédéric Coirier porte ses efforts sur la formation et la mobilité interne.

Vers la troisième révolution industrielle

D’autres organismes, associations, lobbys ou simples groupes de réflexion sont encore plus radicaux, théorisant une véritable refonte des rapports au sein de l’entreprise et vis-à-vis des partenaires. Ainsi, les tenants de l’holacratie (dont l’éthymologie grecque indique le mariage entre l’entité et le pouvoir et qui a été théorisée aux Etats-Unis par Brian Robertson)  tentent d’instiller leurs préceptes via le net en y expliquant les principes d’une gouvernance écologique : il s’agit de donner le pouvoir à l’organisation elle-même plutôt qu’aux egos de quelques-uns, de développer l’intelligence collective et d’impliquer chacun dans la gouvernance du système.
 
Vision excessive et théorique, sans nul doute. Car sans s’embarrasser de grandes théories ou du parrainage contraignant de tel mentor, quelques acteurs engagés continuent de réinventer au jour le jour l’éco-gouvernance, posant ainsi les règles et surtout les pratiques de la « troisième révolution industrielle », chère à l’économiste américain Jeremy Rifkin.
 
 « Les collaborateurs sont moteurs quand on leur laisse l’espace, s’ils savent qu’ils trouvent à la tête de l’entreprise stabilité, continuité et complicité », avance ainsi Frédéric Coirier. Autant de pistes de réflexion, fondées sur l’expérience et l’intime conviction de ces femmes et hommes qui ont su mettre du sens dans leur entreprise et sont parvenus à donner une réalité économique… à leur engagement en faveur du néo-management, et de l’écologie humaine.
 


19 Septembre 2013