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Harcèlement chez Ubisoft : trois cadres condamnés, un signal fort pour le secteur





Le 2 juillet 2025, le tribunal correctionnel de Bobigny a rendu son verdict dans l’affaire Ubisoft, une affaire emblématique du harcèlement moral et sexuel dans le monde du travail. Trois anciens cadres du géant du jeu vidéo, dont des figures emblématiques de la société, ont été condamnés à des peines de prison avec sursis pour leurs comportements abusifs envers des collaborateurs. Si ce procès marque une étape décisive dans la reconnaissance des violences systémiques au sein de l’entreprise, il ne fait que commencer à ouvrir la voie à une révision plus profonde de la responsabilité des dirigeants.



La condamnation des cadres : un jugement sans appel

Harcèlement chez Ubisoft : trois cadres condamnés, un signal fort pour le secteur
Le tribunal a prononcé des peines allant jusqu’à trois ans de prison avec sursis à l’encontre des trois ex-cadres d'Ubisoft : Tommy François, Serge Hascoët et Guillaume Patrux. Le premier, ancien vice-président du service éditorial, est celui qui a écopé de la peine la plus lourde : trois ans de prison avec sursis et une amende de 30.000 euros pour harcèlement moral et sexuel, ainsi que pour une tentative d’agression sexuelle. François, surnommé « le centre disrupteur » du système toxique chez Ubisoft, avait créé une ambiance de « boys club » où les comportements dégradants étaient non seulement tolérés mais encouragés. Son agression sexuelle, bien que reconnue par plusieurs témoins, a été minimisée par sa défense qui invoquait une « culture de la blague » propre au secteur. Cependant, le tribunal n’a pas été dupe, et son argumentation n’a pas trouvé d’écho.

Serge Hascoët, ancien numéro deux d’Ubisoft et directeur créatif, a quant à lui été condamné à 18 mois de prison avec sursis et une amende de 45.000 euros. Si les accusations de harcèlement sexuel à son encontre n’ont pas été retenues, il a été reconnu coupable de complicité dans le harcèlement moral, un aspect fondamental du procès. En tant que mentor et protecteur de François, Hascoët a permis à ce dernier de sévir sans contrôle. Les témoignages des victimes et des salariés de Ubisoft ont mis en lumière ses comportements déplacés et ses abus de pouvoir envers ses assistantes.

Le troisième accusé, Guillaume Patrux, a été condamné à douze mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende pour son attitude violente et intimidante envers ses collègues. Mais l’aspect le plus troublant de cette affaire réside dans l’ambiance de travail qu’ils ont nourrie et exacerbée pendant des années. Le tribunal a souligné que le harcèlement moral et sexuel chez Ubisoft ne pouvait être réduit à des faits isolés, mais relevait d’un véritable « environnement de travail toxique », où les comportements inacceptables étaient banalisés.

Une responsabilité de l’entreprise et du PDG en jeu

Si ce verdict a pu paraître satisfaisant pour certaines victimes, le combat judiciaire continue. En effet, une nouvelle procédure judiciaire a été lancée contre Ubisoft et son PDG, Yves Guillemot, pour complicité dans les faits de harcèlement. L’attaque ciblant la société elle-même fait écho à la réticence d’Ubisoft à prendre en charge ses responsabilités internes. Bien que les accusés aient été jugés, la question reste entière : comment un environnement aussi délétère a-t-il pu prospérer si longtemps sous le regard des dirigeants ?

Les avocats des victimes insistent sur la dimension systémique de ce harcèlement. « Les témoignages ont révélé un management toxique qui a imprégné toute l’entreprise, des directeurs aux employés », a déclaré Maude Beckers, avocate de Solidaires informatique, qui a accompagné les plaignantes tout au long de ce long combat. « Ce jugement envoie un message fort aux autres entreprises : quand on tolère un management toxique, on participe activement à la création d’un environnement de travail où la souffrance est partagée. »

Ce jugement ouvre aussi la voie à une prise de conscience collective dans le secteur du jeu vidéo, un secteur longtemps préservé des conséquences juridiques concernant le harcèlement. Pour la première fois, un tribunal a reconnu le harcèlement sexuel « environnemental », c’est-à-dire que ce n’était pas simplement une affaire de comportements individuels déplacés, mais bien d’une atmosphère générale propice à la maltraitance. Un deuxième procès est même envisagé, où Ubisoft pourrait être jugé en tant que personne morale, ainsi que Guillemot et la DRH, des personnes jusque-là épargnées.

Le combat des victimes continue

Pour les victimes, cette condamnation ne marque qu’une première étape. « Ce jugement nous soulage, mais il est aussi le début d’une lutte plus grande », a déclaré l'une des plaignantes après le prononcé du verdict. Des années après les faits, les victimes du harcèlement chez Ubisoft se battent pour que la justice prenne enfin en compte l’ensemble du système et des complicités qui ont permis à ces pratiques de se perpétuer.

L’affaire Ubisoft est un exemple frappant de l’urgence d’une réforme du management dans les grandes entreprises de l’industrie technologique et culturelle. Cette affaire, par son ampleur et son retentissement, pourrait bien servir de modèle pour d’autres procès à venir, et faire office de point de départ pour une prise de conscience plus globale dans le monde du travail.

Un précédent judiciaire pour les grandes entreprises

Au-delà d’Ubisoft, le doute plane désormais sur l'ensemble du secteur du jeu vidéo. Le procès a mis en lumière un système managérial où les abus de pouvoir et le harcèlement moral et sexuel étaient, sinon tolérés, du moins passés sous silence. Ce jugement envoie un message fort aux grandes entreprises : la complicité passive des dirigeants est désormais une responsabilité juridique. Les peines prononcées, bien qu’avec sursis, sont un signal clair : dans le monde moderne du travail, aucune hiérarchie ne pourra plus se dérober à sa responsabilité face à de tels actes.


3 Juillet 2025