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Yves Laisné: “La dissolution-confusion est un mécanisme complètement transparent”





Après un premier ouvrage remarqué, le docteur en droit Yves Laisné présente aujourd’hui une seconde édition de “Dissolution-confusion. Guide pratique. Spécialement dans la perspective de la transmission universelle de patrimoine transfrontalière”. L’occasion pour l’expert français de faire une mise au point sur la dissolution-confusion et de livrer un vibrant plaidoyer pour la liberté d’entreprendre. Entretien exclusif pour Entreprises & Décideurs.



Vous présentez aujourd’hui une seconde édition du « Guide pratique de la dissolution-confusion », devenu un ouvrage de référence en la matière. Quel est ce mécanisme ?

Crédits: Pixabay
Crédits: Pixabay
La dissolution-confusion est une technique de concentration d’entreprises dont les intérêts sont multiples : fusion d’entreprises, délocalisations, vente optimisée de fonds de commerce... La dissolution-confusion peut également venir au secours d’un dirigeant d’entreprise qui traverserait une mauvaise passe et ainsi sauver son entreprise de la faillite. Comme l’indique le nom de la technique, une société va être dissoute puis confondue dans une autre société. Ce mécanisme a pour effet la transmission universelle de patrimoine (TUP). La dissolution-confusion est parfois désignée par son effet et prend alors le nom de TUP.

Vous abordez notamment la perspective transfrontalière de la dissolution-confusion. Quelles sont ses applications?

La dissolution-confusion peut être appliquée dans le cas de deux sociétés françaises ou dans le cas d’une société française et d’une société étrangère. On parle alors de TUP-TRANS pour transmission universelle de patrimoine transfrontalière. Dans l’espace européen et dans l’OCDE, une société étrangère peut, en vertu du code monétaire et financier,  devenir propriétaire à 100% d’une société française. Elle détient donc ipso-facto les droits qui correspondent à cette détention, dont l’application de l’article 1844-5 alinéa 3 du Code Civil, portant sur la dissolution-confusion. Concrètement, cela signifie que la société étrangère, spécialement quand elle fait partie de l’espace européen, mais aussi d’autres pays, a le droit de confondre en son sein la société française. Evidemment, cela a des conséquences sur les différentes relations juridiques de la société confondue. Mon ouvrage détaille les conditions de mise en œuvre et propose des solutions concrètes en cas de difficultés.

Ce mécanisme est-il simple à mettre en œuvre ?

La procédure est simple : une fois la décision prise par l’associé unique, elle est signée et publiée dans une annonce légale, puis suivie d’un délai d’opposition de 30 jours par d’éventuels créanciers. Si personne ne fait opposition, ce qui arrive dans 99% des cas, la société perd la personnalité morale et il est possible de procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés.
 
Une fois que cette radiation est survenue, la société confondue n’existe plus et ne peut donc ni être assignée en justice, ni faire des actes juridiques. Les mandataires sociaux de l’entreprise confondue ne le sont plus, ce qui est un aspect souvent oublié. Par ailleurs, la transmission universelle de patrimoine implique que la totalité des actifs et des dettes de la société qui disparait, entre dans le patrimoine de la société confondante. Dès lors, la société confondante récupère les dettes et les actifs, (meubles, immeubles mais aussi les créances, y compris les créances en germe). Par exemple, si la confondue avait droit à des dommages et intérêts qu’elle n’avait pas encore fait valoir, la confondante peut les faire valoir. De plus, le mécanisme est peu coûteux à mettre en œuvre. Et les dissolutions transfrontalières se sont largement développées depuis une dizaine d’années.

La dissolution-confusion a-t-elle beaucoup évolué depuis la parution de la première édition de votre ouvrage de référence ?

C’est une matière très vivante et subtile. C’est d’ailleurs en partie pour cela que j’ai souhaité écrire cette nouvelle édition. Il s’agissait de relater les évolutions et bien sûr affiner certains points qui ont été dégagés par la jurisprudence depuis la sortie de la précédente édition.

En effet, la dissolution-confusion a fait l’objet d’un vaste débat ces dernières années. Aujourd’hui la jurisprudence est fixée, notamment sur la question de la fraude à la loi, thème que j’ai déjà abordé dans le précédent ouvrage. En résumé, la fraude à la loi c’est l’interdiction ou l’annulation de ce qui constituerait le contournement légal d’une autre disposition. Dans le cadre de la dissolution-confusion, il ne pourrait y avoir fraude à la loi que si, par des manœuvres, on avait porté atteinte au droit des créanciers de faire opposition dans le délai d’un mois. Ces manœuvres peuvent être par exemple le changement de nom de la société au dernier moment, changement de siège, société étrangère en cours de constitution etc.

Le recours à la dissolution-confusion s’est-il généralisé depuis la première sortie de votre ouvrage?

Oui, cela s’est développé. Les lignes ont donc bougé et aujourd’hui, ce mouvement est admis, notamment par les administrations, les créanciers ou les banques, qui se sont familiarisées progressivement avec la dissolution-confusion.
 
Mais attention, j’insiste: la dissolution-confusion n’est pas une solution à tous les problèmes des entreprises, comme certains voudraient le faire croire. Il convient d’être très rigoureux et professionnel à ce sujet. La dissolution-confusion peut aider certains dirigeants d’entreprise à sauver leur entreprise de la faillite, mais le mécanisme peut également être utilisé à d’autres fins, comme je le détaille dans mon ouvrage. Dans tous les cas, le cadre est strict. C’est une manière d’améliorer une situation : la dissolution-confusion n’a absolument pas l’effet d’une éponge sur un tableau noir.

Est-ce là une réponse aux critiques sur le plan éthique ?

La dissolution-confusion suscite il est vrai de nombreux fantasmes, peut-être parce qu’elle n’est pas suffisamment connue et pratiquée.  Car c’est un mécanisme complètement transparent. Je comprends bien que le contrôle administratif soit un sujet sensible, notamment dans le cas où l’administration souhaiterait faire un contrôle fiscal après la disparition de la société confondue. Il ne s’agit en aucun cas de s’y soustraire.
 
Rappelons que l’administration française peut demander à l’administration compétente du pays étranger dont dépend la société confondante, de procéder à des investigations pour son compte. Il y a d’ailleurs une directive européenne applicable depuis 2012 à ce sujet. Il y a toujours eu une coopération internationale, mais cette coopération fonctionne encore assez mal. Et je ne crois pas que l’on puisse imputer ce dysfonctionnement aux chefs d’entreprises. Ils n’ont pas la responsabilité de faire fonctionner l’Europe ! Les chefs d’entreprises utilisent les outils qui sont à leur disposition dans le respect des lois nationales et européennes, comme la dissolution-confusion. Aux institutions françaises et européennes donc, d’exercer leurs droits et d’effectuer des contrôles.
 

Contrairement à l’esprit anglo-saxon, l’échec et la faillite sont assez stigmatisés en France. Comment expliquez-vous cela ?

C’est vrai qu’en France, l’entreprise et l’entrepreneur ne sont pas autant valorisés que dans les pays anglo-saxons. Il s’agit à mon sens, d’un problème sociologique, qui n’est pas lié au gouvernement qu’il soit de droite, de centre ou de gauche. De même, ceci est à la fois vrai dans les hautes sphères de la société comme dans les couches les plus modestes du peuple : c’est donc un problème franco-français de base.
 
Cette frilosité des Français s’explique selon moi par l’importance liée au statut. Il est d’ailleurs édifiant de constater que ce mot vient du latin stare, c’est-à-dire « ne pas bouger ». De plus, les Français, ont culturellement tendance à se réfugier derrière une autorité de tutelle. Ces paramètres ne sont pas favorables à l’esprit entrepreneurial. Car le chef d’entreprise par nature, parce qu’il entreprend, est quelqu’un qui va faire bouger les choses, qui va innover. Or, cette « destruction créatrice » est difficilement acceptable dans l’esprit français. La prise de risque est difficilement valorisée et donc rémunérée.

Comment «décomplexer »les entrepreneurs français ?

Je ne crois pas que les entrepreneurs français soient complexés. Je crois en revanche qu’ils souffrent d’un manque de liberté. Le moral des chefs d’entreprise est en berne. Cette démoralisation peut conduire à un certain esprit de défiance face aux normes établies, ce qui peut conduire à la dissolution de la morale publique. La question de la fiscalité actuellement en vigueur se pose également. Ainsi, « je crois en la valeur suprême de l’individu, en son droit à la vie, à la liberté et à la conquête du bonheur ». Cette phrase de John Rockefeller Jr. remet l’individu et les libertés individuelles au cœur du système. Elle éclaire, à mon sens, les problématiques que nous rencontrons actuellement. Car si la France a connu une grande phase de développement économique au XIXe siècle, c’est que l’entreprise a profité d’un contexte très libre. 



Yves Laisné  est docteur en droit, chef d'entreprise et conseil juridique international inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de Berlin. Auteur d'une thèse sur La remotivation patrimoniale, il a également publié un ouvrage sur Les usages du Port de Rouen. D'abord assistant de droit des universités, il passe quelques années comme secrétaire général dans une structure patronale territoriale, avant de fonder ses propres entreprises. Il est aujourd'hui à la tête d'un groupe financier et de conseil basé en Allemagne et en Belgique et actif, notamment, en France et en Autriche.

 

Yves Laisné: “La dissolution-confusion est un mécanisme complètement transparent”
Dans le contexte actuel de l'économie, notamment marqué par des changements rapides, globalisation et crise, les entreprises, en particulier les PME, qui constituent le tissu essentiel de la vie économique, ont besoin, plus que jamais, de souplesse. C'est ce qui, notamment en France, leur est le plus souvent refusé. Fonds propres insuffisants, banques frileuses, droit social contraignant, fiscalité lourde, administration tatillonne contribuent à transformer la vie de l'entrepreneur en aventure périlleuse et, trop souvent, sans lendemain. Mais il arrive que, presque par accident, le droit apporte des solutions. C'est le cas de la dissolution-confusion. Technique très simple de concentration des entreprises, elle permet de confondre une société dans une autre et, dans sa version transfrontalière, une société française dans une étrangère. Les applications - et les intérêts - sont multiples : fusion d'entreprises, délocalisation, transmission patrimoniale, vente optimisée de fonds de commerce, dissolution sans liquidation, simplification d'organigramme et, non en dernier lieu, solution de certaines difficultés des entreprises. Un outil polyvalent, d'une mise en oeuvre relativement facile, rapide et peu coûteuse. Le guide pratique de la dissolution-confusion en détaille les conditions, la technique, les difficultés et leur solution, spécialement dans la perspective transfrontalière. C'est un outil précieux pour le praticien du droit comme pour le chef d'entreprise soucieux de se familiariser avec ce procédé.

"Dissolution-confusion: guide pratique", par Yves Laisné est paru aux Editions Formation Entreprise (EFE) en décembre 2015.


27 Mars 2019