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Le livre numérique : décollage ou essoufflement ?





Le relatif essor de la lecture numérique fait couler beaucoup d'encre en France. On y voit une véritable mutation de l'industrie du livre mais aussi une frilosité de la part des lecteurs, lesquels achètent beaucoup moins de livres numériques que leurs homologues anglo-saxons. Enfin, certains voient déjà ce marché s'essouffler alors que les Français continuent à s'équiper en terminaux de lecture. Alors qu'en est-il exactement ?



Le livre numérique : décollage ou essoufflement ?
L'arrivée des tablettes et des liseuses a certainement modifié la manière dont les livres sont consommés. Selon le 3ème baromètre SOFIA/SNE/SGDL publié en mars 2014, les Français s'équipent. Le taux d'équipement a doublé en un an. Aujourd'hui, 42% des lecteurs de livres numériques possèdent une tablette et 20% une liseuse. Et la croissance promet d'être soutenue, au moins jusqu'en 2015. Rien de comparable du côté des livres, mais les chiffres globaux cachent en réalité deux tendances. D’un côté, le marché du livre reste globalement un secteur de poids en France - 356 millions d'exemplaires vendus en 2013 - mais accuse un recul de 2,7%, passant à 3,9 milliards d'euros. Mais de l’autre côté, au sein de ces ventes de livres en baisse, les ventes de livres numériques ont fait un bond de 110 % entre 2012 et 2013, tout en ne générant somme toute « que » 44 millions d'euros de chiffre d'affaires. Pour autant, selon l'institut d'étude GfK, « si l’on restreint le périmètre d’analyse à la littérature générale, le numérique représente alors 4 à 5 % des ventes totales avec pour certains titres, des pics compris entre 10 et 15 % ».
 
Une différence entre volume et valeur aux Etats-Unis
 
La situation du marché du livre numérique en France n'a rien à voir avec celle constatée aux Etats-Unis. Sur ce continent, pas moins de 40 % des livres se sont vendus l'an dernier au format numérique et, selon le cabinet AT Kearney, les ventes de livres numériques dépasseront certainement celles de livres papier en 2014. Certains apportent un bémol à ces prévisions en arguant que le marché se tasse notoirement. Mais ce constat est le fait d'un décalage entre la part de marché en volume (40%) et en valeur (23%) car les livres numériques vendus aux Etats-Unis sont beaucoup moins chers que ceux vendus au format papier. Cette situation est largement le fait de l'acteur prépondérant du marché, Amazon, qui vend parfois ses livres numériques à perte pour maximiser sa part de marché et qui fait également fortement pression sur le prix d'achat auprès des éditeurs.
 
Pour autant, il n’est pas surprenant que les marchés des livres numériques varient d’une région à l’autre, parce que les prérequis culturels ne sont pas forcément les mêmes. « Plusieurs populations n’aiment pas lire sur smartphones. Les écrans trop petits ne permettent pas de saisir le sens des textes rapidement. Or, en Chine, la lecture numérique sur téléphone portable se développe avec beaucoup d’enthousiasme : un idéogramme fournit tellement plus d’informations qu’un caractère romain «  observe ainsi avec finesse Octavio Kulesz, philosophe et éditeur argentin.
 
Les lecteurs français aiment pouvoir choisir
 
En France, outre la législation sur le prix du livre qui protège la juste rémunération des auteurs et des éditeurs, la consommation de livres numériques ne répond pas aux mêmes comportements de lecture. Les Français, certes, lisent chaque année davantage de livres au format numérique mais n'en oublient pas pour autant les livres imprimés. « Une des meilleures ventes de livres numériques sur iPad, le dernier Jacques Attali, ne correspond qu'à quelques centaines de téléchargements tout au plus. En numérique, il a été vendu près de mille fois moins qu'en version papier » illustrait ainsi Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française en 2010. La situation a un peu évolué depuis, mais les lecteurs de livres numériques, qui représentent environ 15 % des lecteurs, ne modifient pour l'instant ni leurs habitudes de lecture, ni leurs achats de livres papier. Ce sont en effet les grands lecteurs qui constituent l'essentiel des consommateurs de livres numériques et ceux-ci confirment leur préférence pour la littérature tous genres et tous supports confondus.
 
Des catalogues qui restent à développer
 
Le marché du livre numérique en France a certainement un beau potentiel de croissance. S'il n'est pas plus développé aujourd'hui, c’est entre autres parce qu’une offre trop faible n’encourage pas des lecteurs en demande de choix et de diversité. Bien qu’ils s’enrichissent chaque année un peu plus, les catalogues sont encore peu étoffés. Certes, les nouveautés sont désormais toutes numérisées. Pour la dernière rentrée littéraire par exemple, la quasi-totalité des 555 œuvres commercialisées pour l'occasion l'étaient également en format numérique. Mais, les catalogues des éditeurs tardent à être numérisés dans leur globalité. Ceux-ci se heurtent à plusieurs difficultés. D'abord d'ordre juridique car tous les contrats d'auteur doivent être revus, mais aussi techniques car de nombreux ouvrages ne gagnent rien à être numérisés en l'état. Le format numérique ne sera intéressant que si de l'interactivité y est ajoutée (son, vidéo, zoom...), ce qui représente un coût non négligeable pour de nombreux éditeurs.
 
Souvent objet de débat, le prix des ouvrages numériques est encore sujet à controverses, entre rémunérations des tous les acteurs de la chaîne de valeur du livre et attractivité du prix. Mais à l’inverse de ce qu’avancent quelques acteurs peut-être mal informés, un livre numérique n’est pas beaucoup moins cher à produire et distribuer qu’un livre papier. Mais en dépit de l'investissement toujours nécessaire pour transformer les livres au format numérique, plusieurs éditeurs français ont reçu le message et ont cherché des solutions. Harlequin a par exemple mis en place un système innovant qui fait varier les prix en fonction de la longueur du texte, ce qui donne des prix allant de 99 centimes à 15 euros, et en multipliant les offres d'essai gratuit. De son côté, Hachette Livre, 1er éditeur en France, avait aligné dès le printemps 2012 le prix de ses livres numériques sur celui des poches papier en opérant de nombreuses baisses de prix. A l’époque, Hachette avait d’ailleurs précisé dans un communiqué que « cette décision correspond à une nouvelle étape dans le développement de l’offre numérique du groupe Hachette Livre, qui entend répondre à la demande croissante des lecteurs utilisateurs de liseuses numériques. »
 
Une autre voie actuellement explorée par plusieurs éditeurs est celle de l'achat couplé, c'est-à-dire la vente par lots de livres papier et numérique. En clair, l'achat d'un livre au format papier donne accès à la version numérique correspondante à un prix très attractif voir gratuitement. C'est ce qu'offre Publie.Papier : le lecteur trouve à la fin de chaque livre papier un code permettant de télécharger la version numérique de l’ouvrage sur le site, selon une procédure très simple. La vente couplée est certainement une solution qui donne au lecteur une raison de plus d'acheter un livre. Cela lui permet de faire découvrir le livre à un de ses proches et, pourquoi pas, de se familiariser avec le format numérique pour devenir lui-même un nouveau lecteur hybride, achetant selon ses envies et ses usages du papier et/ou du numérique.


15 Janvier 2015