Le management à la française : du passé, ferons-nous table rase ?




Auparavant plébiscité à l’international, aujourd’hui ouvertement critiqué par les salariés et les spécialistes de la gestion ressources humaines et de l’organisation du travail, le management « à la française » n’en finit plus, bon an mal an, de se chercher une nouvelle identité. Perpétuellement considéré comme le parent pauvre du management anglo-saxon, la méthode française a pourtant prouvé auparavant qu’elle était potentiellement créatrice de richesses et d’adaptabilité. Cependant, jugé aujourd’hui bien trop pyramidale, elle semble exclure de fait les collaborateurs de décisions ayant une incidence directe sur leur mode de travail et sur leurs objectifs. Après les résultats accablants d’une enquête effectuée par BVA pour BPI Group en janvier 2011, qui pointe notamment le manque de confiance structurel des salariés envers leurs managers, il apparait clairement que le management à la française doit être remis en cause. Mais dans ce processus d’évolution nécessaire, il convient néanmoins de s’arrêter, un instant, sur les aspects positif du modèle français. Car il y en a.



Qu’est-ce que la « méthode française », aujourd’hui si vertement critiquée, mais dont hier les anglo saxons eux-mêmes faisaient l’apologie ? Ce qui semble caractériser le management français, c’est avant tout le sens de la hiérarchie, la culture de l’expert, le respect du chef et de l’ordre établi. Le manager français a également le souci des théories d’organisation et du respect des concepts. En outre, le système managérial français est aussi imprégné d’un sens bien particulier des responsabilités et du partage des tâches. Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS considère ainsi qu’une éventuelle erreur dans la stratégie adoptée par un manager laissera des traces durables dans sa manière de voir les choses, voir même une certaine forme de culpabilité contre-productive.

Le partage très élaboré des tâches, trait marquant du management hexagonal, et son caractère pyramidal empêche de fait, même si cette pratique est théoriquement répandue dans les entreprises, tout feedback réellement constructif, puisque celui-ci repose justement sur un échange entre les membres d’une équipe, manager ou collaborateur. Or, cette pratique, qui repose de fait sur un partage des tords et des succès, est une des marques de fabrique du manager anglo-saxon, qui cherche avant tout à créer au sein de ses équipes une véritable synergie dynamisant l’équipe et les individus. C’est dans un contexte de défiance et de difficultés économiques, et après la mise en exergue des faiblesses françaises pointées par différentes enquêtes au niveau international (par TNS Sofres en 2007 notamment, mais aussi par BVA en 2011) que de nombreuses voix appellent à repenser notre management. Entre ruptures et continuités.

Car le management à la français a aussi, on semble facilement l’oublier, ses aspects positifs. Car à trop se prêter à cet exercice finalement très convenu d’auto-flagellation, l’on risque de jeter un peu facilement le bébé avec l’eau du bain. En effet, le management à la française, apparemment si rigide, est également renommé pour des caractéristiques bien plus flatteuses : sa créativité, son caractère perfectionnisme, l’importance qui est également apportée à la réflexion avant toute décision d’importance. En outre, et même si cela se fait au détriment d’une certaine réactivité, le manager français est aussi reconnu pour sa faculté d’adaptation face à un changement de situation. Alors quelle perspective se propose à nous ?

Philippe d’Iribane souligne, non sans une certaine ironie, la propension démesurée des entreprises françaises à singer les concepts anglo-saxons, et notamment en matière de management. Le management à la française, ajoute-t-il, est le fruit d’une certaine culture, d’une certaine façon de vivre. Il parait donc illusoire de chercher à copier un modèle qui, foncièrement, n’a aucun rapport avec notre environnement. Pour le chercheur, il faut absolument « tirer un meilleur parti de nos potentialités ». L’évolution –pour ne pas dire révolution- du management à la française est d’ailleurs aujourd’hui non seulement possible, mais rendue nécessaire par la diffusion massives des nouvelles technologies de la communication, comme le remarque Nicolas Moinet, dans la mesure où le caractère taylorien et hiérarchisé de ce modèle managérial repose largement sur la rétention d’informations, rendue caduque à l’âge de la « société de savoir ».

Ce type de management, repose également sur une logique de cercles de pouvoirs articulés verticalement, doit aujourd’hui abandonner sa tendance à faire du manager, à quel niveau que ce soit, l’élément central contrôlant tout, compliquant bien plus la tâche de ses collaborateurs qu’il ne la leur simplifie. On doit aujourd’hui, selon l’universitaire, « accepter le désordre et le risque partagé », dans le but non seulement de faire gagner l’entreprise, mais également de placer les collaborateurs au centre de leurs propres projets, articulant ainsi un réseau dynamique favorisant le partage de connaissances, d’information, et par extension de productivité.


2 Octobre 2013