Mort de Loïk Le Floch-Prigent : grandeur et faillite d’un capitaine d’industrie




De l'ascension à la chute, d'Elf à la prison, de l'influence industrielle à la marginalité politique… le destin de Loïk Le Floch-Prigent, décédé à Paris à l’âge de 81 ans, ne laisse personne indifférent. Une trajectoire jalonnée d’éclats, de scandales et de retours inespérés. Mais jusqu’au bout, il aura cherché à défendre sa vision d’un capitalisme national à la française.



Le Floch-Prigent : du génie industriel au patron sulfureux

Le mercredi 16 juillet 2025, Loïk Le Floch-Prigent est mort à Paris, emporté par un cancer. L’annonce de sa disparition a provoqué une onde de commentaires mêlant respect, rejet, nostalgie et ironie. Figure clivante du capitalisme tricolore, il fut tout à la fois ingénieur visionnaire, dirigeant flamboyant, paria judiciaire et polémiste converti aux causes minoritaires. Jusqu’à ses derniers jours, il aura conservé l’art de ne jamais être là où on l’attendait.

Sa carrière débute à Rhône-Poulenc en 1982, sur nomination de Pierre Dreyfus, alors ministre socialiste de l'Industrie. Diplômé de l'École nationale supérieure d'électrochimie et d'électrométallurgie de Grenoble, cet autodidacte du pouvoir évite les grandes écoles, ce qui en dit long sur son parcours iconoclaste. Il enchaîne ensuite les postes à la tête des géants de l’industrie nationale : Elf Aquitaine, Gaz de France (GDF), puis la SNCF.

Son style ? Brutal, direct, volontiers provocateur. Il déplaît autant qu’il séduit. Il ne parle pas le langage des élites financières, mais celui des usines, des forages, de la sidérurgie. Il veut « sentir le pneu », comme il le disait lui-même à propos de Michelin, pour se moquer des dirigeants hors-sol : « Monsieur Michelin “sentait” le pneu. Trop d’autres ne sentent rien ».

Loïk Le Floch-Prigent et l’affaire Elf : déclin d’un capitaine d’industrie

Sa chute s’ancre dans les méandres de l’affaire Elf, tentaculaire scandale politico-financier des années 1990. En 2003, il est condamné à cinq ans de prison pour abus de biens sociaux dans ce dossier qui révèle un système opaque de commissions et de détournements à hauteur de 305 millions d’euros. Une affaire instruite par la juge Eva Joly, où d'autres figures comme Roland Dumas et Charles Pasqua sont aussi éclaboussées.

Début 2004, il est libéré pour raisons de santé. Mais en 2010, il est à nouveau incarcéré pour une autre affaire. En 2012, son nom ressurgit encore : arrêté à Abidjan, il est extradé vers le Togo dans une obscure affaire d’escroquerie impliquant des intermédiaires franco-africains. Il y passera cinq mois en détention provisoire. Lui parlera d’un « guet-apens diplomatique », ses détracteurs évoqueront un retour du karma.

D’un conseiller convoité à un paria politique

Loin de disparaître, Loïk Le Floch-Prigent choisit le chemin inverse. Redevenu consultant, il se met à écrire, à intervenir dans les médias, à conseiller sur l’énergie, sur l’Afrique, sur l’industrie. L’Association des Climato-Réalistes le met en avant comme orateur. Il s’en prend aux éoliennes, aux politiques européennes, aux technocrates qu’il accuse d’avoir affaibli le tissu industriel français.

Il dérange. Il clive. Il ne s’excuse pas.

Fin 2022, il rejoint le parti Reconquête d’Éric Zemmour, devenant une figure intellectuelle de la droite industrielle radicale. Sarah Knafo confiera : « J’avais pris le réflexe de l’appeler régulièrement pour lui demander conseil sur l’énergie, sur l’industrie ». Son épouse, Marlène Le Floch-Prigent, résumera cette obstination posthume : « Jusqu’au bout, le grand capitaine d’industrie qu’il était se sera battu aussi bien pour ses entreprises que pour la défense de l’industrie française ».

Une mort sans pardon, une mémoire sans consensus

Il meurt à l’hôpital Cognacq-Jay, à Paris, des suites d’un cancer. Il avait 81 ans. Les hommages sont discrets, hétérogènes, souvent ambigus. Certains saluent le bâtisseur, d’autres rappellent le faussaire. Sophie de Menthon déclare : « Il a tout risqué, et il a payé ».

D’autres préfèrent se taire. Le monde politique mesure encore mal ce que cette figure incarne. Était-il un visionnaire sacrifié ? Un patron dépassé ? Un bouc émissaire d’un système qu’il avait servi puis défié ? Ce qui est certain, c’est qu’il fut de ceux qu’on ne classe pas. Il n’aura jamais intégré les cercles discrets. Il s’est frotté aux puissants, s’est brûlé à leurs secrets. Il disait de lui-même : « Je ne suis pas un patron comme les autres. Je suis un ingénieur qui commande, pas un manager qui gère ».


18 Juillet 2025
Tags : décès patron