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Luca de Meo quitte Renault pour rejoindre Kering





Le 15 juin 2025, Renault annonçait dans un communiqué lapidaire que son directeur général, Luca de Meo, quitterait ses fonctions le 15 juillet. Cinq ans après avoir pris les rênes d’un constructeur englué dans les séquelles de l’affaire Ghosn, le patron italien rend son badge. À 58 ans, il ne prend pas sa retraite : il file chez Kering, groupe emblématique du luxe, où il succédera à François-Henri Pinault à la direction générale.



Luca de Meo chez Renault : une « Renaulution » aux résultats sonnants

Ce grand écart n’a rien d’anodin. Il s’agit d’un virage sans précédent dans l’histoire du CAC 40. Et les marchés ne s’y sont pas trompés. Le jour de l’annonce, Renault perdait 9% en Bourse, pendant que Kering en gagnait près de 12%. Un milliard d’euros de capitalisation envolé pour l’un, 2,5 milliards engrangés pour l’autre. L’effet De Meo, brut.

Lorsqu’il prend les commandes de Renault en 2020, Luca de Meo hérite d’un groupe en difficulté, tant financièrement qu’en matière d’image. L’Italien entame aussitôt une restructuration ambitieuse : rationalisation des gammes, montée en gamme des modèles, réduction des coûts, relocalisation partielle, recentrage stratégique. Sa « Renaulution » n’est pas un slogan marketing, c’est un programme de combat. La marge opérationnelle du groupe a atteint 7,6% en 2024, soit 4,3 milliards d’euros, un record en 126 ans d’histoire. Interrogé par L'Express, Bernard Jullien, maître de conférences à l’université de Bordeaux, rappelle que « grâce au très bon positionnement de la marque Dacia, Renault est moins concernée que ses concurrents par l’atonie de la demande européenne ».

Il n’a pas hésité à nouer des alliances atypiques avec des acteurs comme Geely (constructeur chinois), ni à implanter un centre R&D à Shanghai, preuve d’un pragmatisme stratégique face à la montée en puissance des acteurs asiatiques. En septembre 2024, dans une interview à L’Express, il déclarait : « Il ne faut pas sous-estimer la capacité et la réactivité des constructeurs automobiles européens […] Nous avons surmonté deux guerres mondiales, des crises énergétiques, financières, sanitaires… Et nous sommes toujours là ».

​Le luxe comme nouvelle frontière : De Meo sur les terres de Pinault

Pourquoi ce saut vers Kering, empire du luxe français ? Officiellement, pour relever un nouveau défi. Officieusement, certains évoquent une lassitude face à un secteur automobile de plus en plus contraint par les réglementations, les nouvelles mobilités et les transformations structurelles.

Mais le défi chez Kering est de taille. Gucci, marque-phare du groupe, a vu ses ventes plonger de plus de 20% en 2024, et la tendance s’est encore aggravée début 2025. Le groupe souffre d’un problème d’organisation opérationnelle chronique. La famille Pinault espère que Luca de Meo, plus gestionnaire que créatif, saura redresser la barre. Jacques Roizen, directeur de Digital Luxury Group, salue « sa capacité à mener des programmes de transformation complexes et ambitieux », tout en apportant « un regard neuf ».

​Le luxe comme laboratoire du futur ?

Le départ de Luca de Meo de Renault n’est pas seulement un mouvement de carrière. C’est un signal faible, un indicateur puissant des mutations du capitalisme français. L’automobile, secteur industriel historique, voit ses figures s’éclipser. Le luxe, au contraire, attire les talents stratégiques, comme s’il devenait le nouveau terrain d’expérimentation des grands patrons.

Reste à savoir si Luca de Meo réussira ce second acte. Redresser une maison de couture ne s’improvise pas. Mais s’il parvient à injecter dans Kering le même sens de l’efficacité qu’il a apporté à Renault, alors ce transfert inédit pourrait bien devenir une référence managériale.


19 Juin 2025