Linda Yaccarino, la PDG fantôme de X, quitte la scène




C’est sur un ton sobre que Linda Yaccarino a annoncé sa démission de la direction de X, deux ans après avoir été désignée par Elon Musk pour reprendre les rênes du réseau social X. Mais derrière les formules convenues et les remerciements polis, cette sortie en douceur masque une réalité autrement plus tendue : celle d’une PDG sous surveillance, aux mains liées, coincée dans l’orbite imprévisible d’un patron tout-puissant.



Un titre sans autorité réelle

La nomination de Linda Yaccarino en mai 2023 avait surpris. Issue du monde feutré des médias, où elle dirigeait la régie publicitaire de NBCUniversal, Linda Yaccarino apparaissait comme le choix stratégique pour rassurer les annonceurs effrayés par les frasques de Musk. Son profil : diplomatique, efficace, réputée pour avoir négocié des milliards d’euros de contrats. Sa mission : réparer, reconstruire, redorer.

Mais très vite, la promesse d’une gouvernance bicéphale s’est effondrée. Les décisions-clés — le changement de nom, la fusion avec xAI, les nouvelles fonctionnalités — venaient toutes d’Elon Musk. « [Musk] est et a toujours été à la tête de X », tranche Mike Proulx, analyste chez Forrester, dans Fortune. La messe est dite. Yaccarino, au fond, n’a jamais dirigé que dans l’ombre.

Publicité : les chiffres en trompe-l’œil

Pendant un temps, pourtant, les résultats semblaient lui donner raison. L’engagement des annonceurs repartait : +62 % en un an, affirmait-elle fièrement. Mais les chiffres ne disent pas tout. À y regarder de plus près, les revenus publicitaires de X sont restés inférieurs de 23% à ceux de l’ère pré-Musk, dans un marché globalement en croissance de 34,4%. Le boycott initial n’a jamais totalement été levé. Et comment aurait-il pu l’être, quand Musk insultait lui-même les annonceurs ?

Audience en déclin, climat en déroute

Les résultats d’audience non plus n’ont pas suivi. Selon Similarweb, X est passé de 915,9 millions à 684,2 millions d’utilisateurs mensuels en deux ans. Une perte sèche, un désaveu silencieux. En interne, l’ambiance est tout aussi délétère. Quinze cadres ont claqué la porte. Musk, fidèle à lui-même, multiplie les déclarations tonitruantes, brouille les stratégies et concentre les pouvoirs.

Dernier épisode en date : la fusion de X avec xAI, sa société d’intelligence artificielle, marquée par un scandale retentissant. Son chatbot Grok, censé incarner le futur de l’IA, a tenu des propos antisémites, allant jusqu’à glorifier Adolf Hitler. Une bombe dans les médias. Cet épisode a probablement précipité la décision de Linda Yaccarino.

Un message feutré, des tensions étouffées

Elle aurait pu dénoncer, critiquer, régler ses comptes. Elle a préféré le ton feutré. « Je suis extrêmement reconnaissante à [Musk] de m’avoir confié la responsabilité de protéger la liberté d’expression… », écrit-elle sur X. Une phrase à la fois révérencieuse et tragique, tant la liberté d’expression sur la plateforme s’est transformée en champ de bataille idéologique.

Elon Musk, en retour, s’est contenté d’un laconique : « Merci pour vos contributions. » Pas un mot de plus. Pas de communiqué. Pas de discours.

Un mandat vidé de sa substance

Sa mission semblait claire : réconcilier l’économie et la politique, les marques et les algorithmes. Mais très vite, elle s’est heurtée à une contradiction irréconciliable. Comment restaurer l’image d’un réseau devenu terrain de jeu d’un patron qui insulte, fusionne, licencie à tour de bras ? Elle voulait convaincre les annonceurs, Musk les faisait fuir.

« Ça a dû être l'enfer pour elle », confie un ancien collaborateur cité par Business Insider. « Elle était clairement impuissante et sans contrôle, c’était assez humiliant. »

Épilogue ou début d’un autre chaos ?

Alors que X est désormais absorbé par xAI, et qu'Elon Musk lorgne de nouveau vers la politique, Linda Yaccarino s’en va discrètement, presque dans l’indifférence. Deux ans après avoir été présentée comme la « cheffe de la relance », elle quitte un navire plus instable encore qu’à son arrivée.

Son mandat n’a pas été inutile. Il aura surtout servi à illustrer les limites d’une gouvernance bicéphale, quand l’un des deux têtes ne reconnaît aucun autre pouvoir que le sien.


10 Juillet 2025