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La vision stratégique : valeur ajoutée du management?





Prévoir l’évolution d’un marché, ou créer de nouveaux besoins est l’apanage des rares capitaines d'industrie capables d'anticiper et de mettre en place des stratégies de rupture pour leur entreprise. Il ne suffit pas d’être à la tête d’une grande entreprise et d’être un bon manager pour garantir le succès et la pérennité, encore faut-il en avoir une vision stratégique et savoir imaginer le futur.



D.R.
D.R.
Qui aurait parié, il y a quelques années, que l'on possèderait des tablettes à peine plus grandes qu’un livre de poche nous permettant d'emporter partout plus d’un millier de titres musicaux, de romans, tout en intégrant une fonction GPS, la visioconférence et l'interopérabilité? Ils ne sont pas très nombreux, ces grands patrons visionnaires comme Henry Ford, Robert Woodruff (Coca-Cola), Akio Morita (Sony), Ingvar Kamprad (Ikea) ou Steve Jobs qui ont eu "LA" bonne idée. Inventeurs de génie, ou génies du marketing, fins négociateurs ou stratèges perspicaces: on ne peut que se résoudre à l'idée que le talent managérial ne s'apprend pas sur les bancs de l'école de commerce. 

Des valeurs, un objectif et un projet

Dans un article récent, Nacer Gourmat, professeur et formateur, explique la nature profonde de la vision stratégique composée selon lui de trois éléments « des valeurs centrales qui seraient des principes directeurs de l'entreprise, un objectif premier qui serait la raison d'être de l'entreprise et par nature hors de portée et enfin un projet ambitieux qui serait réalisable à long terme, clair et motivant pour tous les collaborateurs. ». L’expert poursuit : « Largement intuitive au départ, la vision stratégique se déploie et s'alimente de l'action. Elle reflète un grand dynamisme dans la mesure où elle évolue instantanément et progressivement au contact de l'action ».
 
Un exemple de vision stratégique porteuse de succès est rapporté par le magazine Capital qui raconte comment une idée toute simple, en 1879, allait présager ce qui deviendrait plus tard la multinationale Procter & Gamble: « Harley Procter fait la promotion de son savon en signalant qu’il convient « à la lessive et à l’hygiène corporelle ». C’est le premier produit de la famille des « deux en un », concept qui reste d’actualité dans les rayons des grandes surfaces. Avec son encoche centrale invitant à le séparer en deux morceaux, c’est aussi le premier savon design ! ».  Plus contemporain : le pari technologique que fait General Electric en misant sur « l’Industrial Internet » et qui va y consacrer plus d’1,5 milliards de dollars en recherche et développement sur 3 ans. Le site La Fabrique indique que « GE imagine qu’en dotant ses équipements – par exemple ses moteurs d’avion – de capteurs, elle pourra récupérer une grande quantité d’informations, que les technologies dites big data lui permettront de traiter efficacement. A l’arrivée, cela aiderait à prévenir les pannes, optimiser la maintenance, économiser l’énergie… bref, à rendre plus efficaces non seulement les produits mais également les systèmes dans lesquels ils sont insérés, tels que les usines, les flottes d’avion, les aéroports, etc. » Un nouvel usage industriel qui pourrait donc fiabiliser encore plus un secteur déjà performant.

Les gagnants de la révolution numérique

Dans un autre domaine, selon Médiamétrie, 22,3 millions de Français disent se connecter aujourd'hui à Internet sur leur smartphone. Demain, ils seront encore plus nombreux à le faire grâce aux tablettes tactiles dont les ventes progressent à pas de géant. Steve Jobs ne se doutait peut-être pas qu'en créant son premier iPad, il allait non seulement créer des besoins nouveaux mais aussi permettre à la concurrence de se développer sur ce marché. Les tablettes et les mobiles ouvrent l’accès à tous au monde de la communication, au commerce ligne et au monde de l’édition numérique. Autant de secteurs qui en quelques années vont vivre une véritable révolution à laquelle ils n'étaient pas forcément tous préparés, et pour cause: la technologie a une fois de plus précédé les usages.

Ces bouleversements, certaines entreprises n’arriveront pas à y faire face tandis que d’autres réussiront à adapter leur stratégie. Une maison d'édition pourtant centenaire comme Hachette a par exemple su se repositionner et réinventer ses métiers bousculés par l’arrivée du numérique. Elle fut une des pionnières sur le livre numérique, qui représente 8 % de son chiffre d'affaires, et le premier éditeur au monde a signer en 2011 un accord avec Google pour la numérisation d’œuvres épuisées. Celles-ci représentent environ 70% du fonds de Hachette Livre et des maisons d’édition du groupe, soit plus 40 000 œuvres. Mais Hachette doit également composer avec un environnement hostile, animé par les géants du e-commerce, et lutte fermement depuis 2010 contre Amazon qui entend bien imposer ses prix sur le livre numérique. Des prix bas que le dirigeant d’Hachette, Arnaud Nourry, estime incompatibles avec le maintien de la diversité culturelle. A la tête du deuxième éditeur mondial depuis 2003, le patron argumentait en effet, dans les colonnes du Monde  : « au-delà de la taille, nous faisons un métier de découvreur et de passeur. Nous avons des contrats exclusifs avec nos auteurs qui nous mettent en position de force par rapport aux grands opérateurs internationaux.» Une vision stratégique du métier qui rejoint l’analyse de Gourmat à propos des valeurs centrales en guise de principes directeurs de l’entreprise.  

Le manque de stratégie se paye très cher

Car l’innovation, lorsqu’elle réussit, a tendance à terrasser les industries qu’elle rend obsolètes. Un fabricant de téléphones mobiles comme Nokia, ou encore RIM, qui furent des précurseurs du téléphone mobile courent aujourd’hui après le succès des smartphones d’Apple, de Samsung, de Google, faute de n’avoir pas su anticiper les ruptures en termes d’usage. Même le groupe Sony, géant de l’électronique japonaise, annonce la fermeture d’usines et la suppression de milliers d’emplois, n’ayant pas su davantage que les premiers faire évoluer sa production dans le bon sens. Elle est longue, la liste des marques comme Panasonic, Sharp ou Blackberry, qui paient leur déficit de vision stratégique et industrielle de long terme.

Des stratèges atypiques

Un sens aigu du marketing n’est certes pas le seul élément qui garantisse la réussite à partir d'une bonne idée. On s’aperçoit parfois que la forte personnalité de celui qui la porte en est le principal atout. Ainsi Nicolas G. Hayek le président de Swatch Group n’hésita pas à s’en prendre devant un parterre de banquiers suisses, à « cette mentalité néfaste qui ne connaît qu’un seul mot d’ordre: le profit à court terme, l’argent et encore l’argent, le plus vite possible et sans distinction.» Dans un portrait que lui a consacré en 2010 le journal suisse L’Hebdo, le journaliste Alain Jeannet cite le « rebelle, né avec une calculette dans la tête » et qui, parfois, parlait de lui à la troisième personne : « Ce qui me blesse quand on parle de Hayek, c’est qu’on le confine dans une case. Il est un entrepreneur, un spécialiste de la technologie; donc la culture, le flair, le créateur n’existent plus. Pourtant, moi, je suis un artiste, je n’ai pas honte de le dire. Mais attention, sous la sphère volatile et mouvante de la création, il y a une autre organisation, rigide, très suisse celle-là : les finances, la comptabilité.... Je gère l’argent de la compagnie comme si j’étais en train de mourir de faim...». Un caractère bien trempé n’est donc pas incompatible avec la finesse d’esprit.
 
Dans les années 1980, il fit renaître l’industrie horlogère Suisse alors moribonde, et surtout submergée par les montres à quartz moins chères venues de Japon, en réinventant le plaisir de lire l’heure et de porter une montre originale à son poignet. Un résultat obtenu avec une restructuration intelligente des moyens de production, un grand sens de la communication, et une inventivité débordante. A sa mort en 2010, alors âgé de 82 ans, il laissa à son fils un groupe florissant, mondialement connu et possèdant 160 usines et une gamme de 17 marques de montres, depuis la désormais mythique Swatch jusqu'à la luxueuse Breguet. Un exemple parfait du mariage entre une vision stratégique et les pieds bien sur terre. Un exemple parfait de ce qui distingue souvent le gestionnaire du visionnaire.


18 Novembre 2013