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La finance au secours du développement durable : mythes et réalités





Le développement durable devra-t-il son salut à la finance ? La question peut sembler provocante, mais entre la montée en puissance des critères ESG, le développement des ISR et les opportunités financières d’un secteur en pleine croissance, la réponse est plus nuancée qu’il n’y paraît.



La finance au secours du développement durable : mythes et réalités
Après la crise financière de 2008, la cause semblait entendue : les pratiques complexes et parfois opaques de la finance, caractérisées par des risques excessifs et des impératifs de rentabilité à court terme, avaient des effets très préjudiciables pour la société ou pour la planète. Pourtant, aujourd’hui, la donne est en train de changer : même si la finance aura toujours pour objectif de rentabiliser les capitaux investis, elle prend conscience qu’elle ne pourra plus le faire désormais sans regarder l’impact concret de ses investissements, non par philanthropie mais tout simplement parce que cela correspond à une demande forte de la société civile et donc des investisseurs eux-mêmes, institutionnels ou privés.
 
La finance intègre donc de plus en plus les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses décisions d’investissement et l’allocation du capital. « Le développement durable est devenu aujourd’hui une composante majeure de la performance, qui finira par ne plus distinguer financier et extra-financier », estime Sylvain Lambert, associé chez PwC. « La manière dont l’entreprise prend en compte ces enjeux conditionne déjà le prix de l’argent ; à terme, ignorer cette question pourrait diminuer la capacité d’une entreprise à se financer ».
 
L’ESG et l’ISR gagnent du terrain
 
Si la finance « verte » ou « éthique » est encore abstraite, en matière d’investissements, les choses peuvent devenir rapidement très concrètes. « Les critères ESG sont devenus structurants dans les stratégies d’investissement. C’est une excellente chose, car nous avons besoin que le maximum d’outils soient mis en œuvre, à tous les niveaux, pour enclencher la grande migration de capitaux vers un nouveau système énergétique décarboné. Nous y sommes particulièrement attentifs chez Kouros, car c’est un accélérateur pour le développement de nos activités », explique ainsi Alexandre Garese, dont l’entreprise se positionne sur des projets énergétiques d’avenir, notamment autour de l’hydrogène pour la mobilité lourde.
 
L’investissement socialement responsable (ISR) connaît de fait un véritable boom. L’Observatoire de la société d’analyse Quantalys recense plus de 3.000 fonds revendiquant une démarche ISR en Europe, pesant au total 2.000 milliards d’euros, soit un quart de l’actif total des fonds distribués. L’encours des fonds durables a même atteint un nouveau record en 2021, avec 280 milliards d’euros de collecte, soit 67 % du total réalisé. En France, le label ISR, créé par l’Etat en 2016, a gagné du terrain ces dernières années et le marché français de l’investissement responsable poursuit sa croissance. Il pesait 200 milliards d’euros en 2020, contre quelques dizaines de millions d’euros quinze ans plus tôt. En septembre 2021, plus de 624 fonds estampillés ISR étaient commercialisés (contre 146 à fin 2018), auxquels s’ajoutent 56 fonds labellisés Greenfin.
 
La transition écologique au cœur des stratégies
 
La transition écologique est au cœur des stratégies ESG et de l’ISR, d’autant que les besoins en investissements sont immenses. « On est partis de très loin, et il y a quand même eu des progrès très importants, même si ce n’est jamais assez ni aussi net qu’on le voudrait », constate Noam Leandri, secrétaire général de l’Ademe, l’agence de la transition écologique. « La prise de conscience a eu lieu entre 2016 et 2018 ». Quels que soient les motivations – risques juridiques, d’image, ou réelle conviction –, le monde de la finance a pris le train en marche.
 
« Ceux qui réfutent depuis des années les arguments philosophiques, éthiques et politiques plaidant pour la transition énergétique sont aujourd’hui confrontés à la réalité scientifique, qui se traduit en impératifs économiques », estime Alexandre Garese. On peut être sensible ou indifférent à l’écologie, mais le verdict de l’économie est clair. Le risque n’est plus du côté du développement durable. Il est du côté de toute forme de prédation qui détruit les fondements même de la création de valeur ». Cette analyse d’Alexandre Garese résume le bien le changement d’état d’esprit en cours parmi les investisseurs privés. « Les enjeux liés au climat, à la transition écologique et à la sauvegarde de la biodiversité constituent une priorité qui s’impose à tous : aux pouvoirs publics et aux citoyens, mais aussi aux opérateurs privés qui ont un rôle essentiel à jouer dans cette transition », confirme Jean Lemierre, président du conseil d’administration de BNP Paribas. L’objectif de tous est le même : atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, objectifs qui ne pourra se passer de l’aide du monde financier, en particulier des investisseurs les plus importants.
 
Les investisseurs institutionnels s’engagent
 
Les grands investisseurs institutionnels multiplient ainsi les initiatives en faveur d’une finance plus verte. Lors de la COP 26, à Glasgow, en 2021, plus de 450 banques et institutions financières mondiales, représentant 40 % des actifs financiers de la planète (130.000 milliards de dollars), se sont engagées à décarboner leurs investissements et à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. En octobre 2020, lors du Climate Finance Day, les acteurs de la place financière de Paris avaient déjà promis de sortir du financement du charbon. Selon la Fédération bancaire française (FBF), le financement des entreprises impliquées dans cette énergie ne représente plus que 0,16 % du portefeuille corporate des grandes banques françaises.
 
En octobre 2021, six d’entre elles (BNP Paribas, BPCE, Crédit agricole, Crédit mutuel, Société générale, La Banque postale) ont également annoncé qu’elles ne financeront plus désormais les entreprises « réalisant plus de 30 % d’activité dans les sables bitumineux, le pétrole et le gaz de schiste ». La Banque postale veut aller encore plus loin et a annoncé une « sortie totale » des énergies fossiles à l’horizon 2030.
 
Des besoins de financement colossaux
 
De l’autre côté, les fonds ainsi dégagés n’ont que l’embarras du choix. « Le besoin de financement de la transition énergétique d’ici 2050 a été chiffré par l’IRENA, l’Agence Internationale des Énergies Renouvelables, à plus de 131 trillions de dollars, précise encore Alexandre Garese. La décarbonation de l’énergie nécessite donc l’implication du secteur public comme du secteur privé. Le secteur public dispose d’outils (règlementation et subvention, par exemple) pour orienter les filières énergétiques et stimuler l’innovation. Le secteur privé dispose quant à lui des outils pour financer l’innovation et le déploiement des nouvelles infrastructures de production et de distribution des énergies décarbonées ». Kouros participe à ce défi en construisant un groupe énergétique industriel intégré verticalement et principalement axé sur les carburants bas carbone pour la mobilité lourde et la production et le stockage d’énergie verte.
 
Face aux acteurs de la place de Paris, en octobre 2021, Bruno Lemaire, ministre de l’Economie, a d’ailleurs affirmé qu’il fallait « de l’ambition financière pour faire face aux 1.000 milliards d’euros d’investissements qui seront nécessaires dans les énergies en France d’ici à 2060 ». « La transition écologique représente un risque et une opportunité d’investissement historique », estime Stéphane Lapiquonne, responsable durabilité pour l’Europe de BlackRock, premier gestionnaire d’actifs mondial. « Les entreprises qui œuvrent dans ce sens sont jugées mieux à même de répondre aux enjeux du monde du futur. A l’inverse, les autres s’exposent au risque de proposer des produits obsolètes, de voir leurs clients se détourner ou d’être frappées par une réglementation défavorable. » De fait, les investisseurs ont désormais à cœur de réduire leur exposition aux entreprises qu’ils jugent dépassées sur les plans éthique ou écologique, ancrées dans l’économie carbonée ou indifférentes aux nouvelles attentes sociétales.
 
Conjuguer valeurs et valorisation
 
« La transition énergétique, c’est l’oxygène d’une économie en pleine suffocation, considère encore Alexandre Garese. Pour un investisseur, c’est aussi le plus sûr moyen de rendre pérenne la création de valeur. Le développement durable s’est imposé de façon décisive dans la rationalité économique. Pour la plupart des dirigeants, toute nuisance environnementale est devenue synonyme de destruction de valeur, ce qui oriente les investissements vers les secteurs les plus compatibles avec les principes liés au développement durable ».
 
Même si l’hétérogénéité qui caractérise aujourd’hui la finance durable entretient une certaine confusion et fait naître des soupçons de greenwashing (ce procédé qui consiste à communiquer sur ses vertus environnementales sans les mettre en pratique, comme dans « l’affaire DWS  »), un mouvement de fond est enclenché. Pour atteindre la maturité, il faudra que les nouvelles réglementations imposent une mesure fiable des résultats ESG, selon des normes et des méthodologies contrôlées. Autrement dit, que les informations sur le développement durable rejoignent le niveau de qualité, de fiabilité et de comparabilité des données financières. L’importance des critères de performance extra-financière est déjà une avancée, mais des progrès sont toujours possibles, surtout compte tenu de l’urgence désormais largement admise.


2 Décembre 2022