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Cure de jouvence pour l’héritage coopératif





Le modèle traditionnel de l’entreprise a-t-il atteint ses limites ? Le statut coopératif peut-il être une alternative face aux schémas habituels ? Passage en revue des spécificités d’un statut qui se pose en modèle alternatif de développement économique.



Les coopératives sont porteuses d’une histoire riche et plus encore aujourd’hui, elles endossent un rôle social dans de nombreux secteurs comme la consommation, le logement ou les services financiers. Car une coopérative rassemble avant tout des personnes qui décident de se réunir volontairement pour satisfaire des besoins économiques, sociaux et/ou culturels, et en la matière, les motivations sont protéiformes. Au sens du collectif affiché par les coopératives s’ajoutent bien souvent des valeurs éthiques centrées sur l’homme et non seulement sur le profit.
 
C’est dans cet esprit que s’est constituée Ardelaine, une filature d’un petit village d’Ardèche, sauvée des ruines par Béatrice et Gérard Barras, artisans tapissiers. Et dès 1973, ils se sont attelés à faire revivre la filière régionale de produits de laine artisanale. Rénovation, réhabilitation des bâtiments, le redémarrage de la filature a été mené par l’ensemble des co-fondateurs et soutenus par une coopérative régionale de producteurs. L'abbé Chave, natif du village, l’évoque avec nostalgie : « cette entreprise, ils sont partis de rien, des gens intelligents, tournés vers l'avenir, tous solidaires et puis ce Gérard, architecte, féru d'archéologie qui se place pourtant “un parmi les autres“, un homme qui se met à tout ».
 
Leur réussite ? Ils la doivent à une éthique solide, renforcée par le principe de partage des responsabilités : un membre égal une voix. Créatrice d’emplois, Ardelaine œuvre en outre pour le respect de l’environnement, puisque chaque produit utilise une pure laine vierge non traitée.  Les produits annexes comme le bois et le coton respectent les mêmes contraintes biologiques. Tout traitement chimique est donc proscrit de ses procédés de fabrication. Ardelaine a ainsi permis de redynamiser toute une filière régionale et de développer des activités annexes de plus en plus nombreuses.

Raiffeisen, par exemple, est un groupe bancaire suisse de coopératives. Crédit: Raffeisen.ch
Raiffeisen, par exemple, est un groupe bancaire suisse de coopératives. Crédit: Raffeisen.ch

Résister aux turbulences du marché

Les banques ont été en première ligne des critiques sur la gestion de la crise financière depuis 2008, mais les banques coopératives ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Bien que malmenée comme les banques traditionnelles par certains placements hasardeux, la Banque centrale des coopératives d’Allemagne s’est par exemple rétablie très rapidement. Elle a prouvé par la même occasion que les mécanismes de régulation des banques coopératives, fondés sur la transparence, l’entraide et des investissements dans l’économie réelle, ont fonctionné malgré tout. Hagen Henry, Chef du Département des coopératives du BIT précisait ainsi en 2009 qu’ « aucune banque coopérative ne semble avoir demandé l’aide de l’Etat jusqu’à présent. […] Qui plus est, aucune banqueroute de coopérative liée à la crise, aucun licenciement d’employé de coopérative n’ont été rapportés. »
 
La gestion d’un groupement coopératif quel qu’il soit permet à ses membres d’assurer un développement financier solide et progressif, indépendant des volontés d’éventuels actionnaires. En effet, la gouvernance coopérative se distingue de celle des sociétés commerciales traditionnelles grâce à des principes stricts d’engagement volontaire, d’égalité des personnes, de solidarité entre les membres et d’indépendance économique. L’exemple d’Optic 2000, leader français de l’optique, l’illustre à travers une stratégie de développement guidée par des considérations sociales, pour autant en adéquation avec les règles du marché.
 
Yves Guénin, secrétaire général du groupe, explique ainsi que « dans un univers économique instable et déboussolé, le modèle coopératif est, en réalité, très en avance sur son temps ». En effet, à l’inverse des sociétés cotées dont l’opinion fustige souvent la gouvernance comptable et une vision jugée mécaniste de la performance économique, les entreprises coopératives revendiquent un visage humain : « Optic 2000 est un groupement coopératif présidé par un opticien, aujourd’hui Didier Papaz, élu par ses pairs, explique Yves Guénin. Cela implique bien sûr un certain mode de gouvernance fondé sur la liberté d’adhésion des opticiens et une gestion démocratique et participative selon le principe « Un homme, une voix ». Nos membres appelés associés, car détenteurs d’actions, sont habités par une histoire, des valeurs et un projet spécifiques. »

Enseigne de "The Park Slope Food Coop" (D.R.)
Enseigne de "The Park Slope Food Coop" (D.R.)

Tisser du lien social et aider la population

L’esprit de solidarité des coopératives regorge d’innovations surprenantes et représente un puissant vivier d’idées tant leurs résultats sont encourageants. Dans le domaine alimentaire, « The Park Slope Food Coop (PSFC) » créé en 1973 à Brooklyn, compte aujourd'hui pas moins de 15000 membres ! Le concept est simple,  mais encore fallait-il y penser... et oser ! Aussi, chaque membre de la coopérative accepte de travailler bénévolement et paie un droit d’inscription mineur en échange de ristournes sur les produits du supermarché. Le concept fait boule de neige dans les capitales européennes et c’est ainsi qu’Arthur Potts Dawson et Kate Wickes-Bul récupèrent un supermarché abandonné au centre de Londres, puis le transforment sur le même modèle, avec une idée fixe : le recyclage.
 
Ainsi, les produits restés plusieurs jours dans les rayons sont cuisinés dans la People’s Kitchen de l’arrière-boutique. Comme l’explique le site internet, “Cela permet de concocter des petits plats sains que les clients pourront acheter et consommer chez eux“. Les produits périmés sont envoyés directement au compost, lui-même utilisé pour des plantes revendues à la coopérative. Entre qualité, lien social et proximité des produits bio, ce nouveau modèle de distribution alimentaire se déclinera en France à Paris d’ici 2015, dans le 18eme arrondissement, là où naquit en 1886, la première coopérative parisienne de consommation !
 
Les spécificités du modèle coopératif, on le constate, suscitent un vif regain d’intérêt en France, comme à l’étranger. Pour s’en convaincre, nul besoin de remonter trop loin dans le temps. Le 14 janvier dernier, le Sénat adoptait  en première lecture le projet de loi de Benoît Hamon sur l’économie sociale et solidaire, faisant la part belle au renforcement des réseaux de commerçants en coopérative.
 
« À y bien regarder, le modèle coopératif apporte des réponses alternatives aux excès du capitalisme financier », observe Antoine de Roffignac, consultant spécialiste des questions de gouvernance et lui-même ancien dirigeant d’un groupe coopératif : « Les coopératives se sont développées au XIXe siècle en réaction au capitalisme industriel triomphant : et si, en ce début du XXIe siècle, loin d'être archaïques, elles étaient porteuses d'une vraie modernité ? »


31 Janvier 2014